Occupation maraîchère contre les écobétonneurs !

Le journal CQFD (http://www.cqfd-journal.org) dans son n°106 de décembre 2012 a publié un article sur la friche des Lentillères. Initialement prévu en novembre, le texte a été publié en décembre, dans une version un peu plus courte que prévu. Le texte sous le scan du journal est la version avant qu’elle soit allégée pour coller au format de la rubrique « Ma cabane pas au canada ».

 

Occupation maraîchère contre les écobétonneurs !

A Dijon, depuis bientôt trois ans, de joyeux zigues s’ancrent sur une friche maraichère et luttent pour défendre cet espace voué à la rénovation urbaine. Balade au cÅ“ur du quartier des Lentillères, avec Gérard, paysan squatteur du cru.

C’est près de 28 hectares de friches, dont six de terres cultivables, qui doivent être réhabilités en un éco-quartier baptisé « Le Jardin des maraîchers », en référence à l’histoire maraîchères du quartier. Ce projet urbanistique « vert », au bon goût de béton et prévu pour 2015, a été conçu par Nicolas Michelin, architecte qui se targue de travailler en s’inspirant du « génie du lieu » qu’il définit comme « l’impression, l’air, l’atmosphère… [car] nous devons nous imprégner de ce qui existe, de l’histoire, des hommes avant de construire » (1). « Le génie du lieu, c’est plutôt nous qui le portons, en refaisant vivre le vestige de ce bout de quartier maraîcher, qu’on a baptisé le quartier des Lentillères ! », s’exclame une jardinière du quartier. « Nous », ce sont des voisins, des familles des HLM alentours, des squatteurs, des demandeurs d’asiles et des jardiniers de tous horizons qui se sont réappropriés cette friche.

Tout commence en mars 2010, quand 200 urbains et paysans avec ou sans terres déambulaient armés de fourches dans les rues de Dijon pour occuper une parcelle maraîchère en friche et lancer un potager collectif, le Pot’Col’Le, ouvert sur le quartier (2). Depuis, la dynamique d’occupation n’a cessé de croître : « Petit à petit, on a repris la friche ! s’enthousiasme Gérard. Aujourd’hui, quatre maisons sont squattées ainsi qu’une boucherie qui sert de refuge à des demandeurs d’asiles. Il y a le Pot’Col’Le qui côtoie une quizaine de petites parcelles cultivées par quelques individus, un rucher et une ferme maraichère qui propose des légumes à prix libre sur place toutes les semaines. Sans compter la salle polyvalente où se déroule réunions, projections, concerts et autre fêtes ! ».

Un urbanisme autogestionnaire

La friche ne manque pas de charme. A peine avoir quitté le boulevard à proximité, le décor se fait campagnard. Les jardins, maisons et autres granges sont dispersés au milieu de parcelles entourées de murets en pierre. Dans cet espace en attente de rénovation, l’urbanisme ne se décline pas en concepts, il se vit au quotidien. « On pense l’espace ensemble, et on concrétise nos envies lors de chantiers collectifs ». Ici, il n’est point question d’attractivité, de compétitivité, de planification ou encore de fonctionnalité de l’espace urbain. La vie est avant rythmée par la densité du social entre squatteurs, jardiniers et habitants du quartier. « A la base, on lutte pour que ces terres très fertiles soient bétonnées et défendre ce qu’on y construit. Mais ce qu’on porte sur la friche, c’est quelque chose qui va au delà de ces seules revendications. Sous leur discours de façade à hautes teneurs participatives et écologiques, les décideurs défendent une vision capitaliste de la ville, ou chaque mètre carré a une fonction qui doit permettre de tirer le maximum de profit. Pour nous, la production de la ville doit être le fait les habitants et non pas celui des technocrates ! » renchérit Gérard. Une vision critique de la ville traduite en actes sur laquelle Henry Lefebvre (3) ne cracherait pas.

La concertation à coups de bulldozers

« Comme le collectif qui a ouvert le Pot’Col’Le était assez éclectique, au départ on a joué la carte du dialogue, mais on était nombreux à ne pas y croire ». Il apparaît rapidement que l’émulation de la friche n’est pas du goût de la municipalité. « En fait, de dialogue avec la mairie, on s’est surtout retrouvé face à des bulldozers ». Une première fois pour détruire une maison tout juste expulsée en 2010, puis une seconde fois en mars 2012 : « On avait annoncé l’expansion des potagers. La mairie à alors envoyé un bulldozer faire plusieurs dizaines de trous énormes sur une parcelle voisine non cultivée, histoire d’empêcher toute réappropriation. Le dialogue ca fait longtemps qu’il n’est plus à l’ordre du jour. La lutte n’en est que plus excitante. De toutes façon, les dés sont pipés, c’est eux qui décident du cadre du dialogue. A nous d’être créatif pour créer un rapport de force favorable ».

En 2012, le vent tourne. « Si on s’est retrouvé pendant un temps avec la même bande de gens pour jardiner, l’anniversaire du Pot’Col’Le en mars a initié une dynamique d’ouverture de nombreux petits jardins, tenus par quelques personnes venues renforcer les rangs. Je crois que leur histoire de trous a jouée plus en notre faveur qu’en la leur. Ils ont du mal a justifié leur truc. Et puis on les a rebouché, ils ont été bien ridicule sur ce coup là ! ».

En effet, courant avril une petite bande de maraîchers sans terre se met en tête de reboucher les trous et ouvre une ferme maraîchère ironiquement nommée « Le Jardin des Maraîchers » (4). « On cultive avant tout pour nous et pour nos potes, explique Gérard. Mais on propose aussi nos légumes à prix libre sur place tous les jeudis. À chaque marché, il y a plus de monde ! Des voisins, mais aussi des familles modestes des quartiers, des étudiants, des précaires et autres galériens du foyer social d’à coté… C’est de loin d’un simple espace de vente : c’est avant tout des rencontres, une manière pour nous de faire connaitre ce qu’il se vit sur la friche. Ça a été pensé comme une stratégie pour s’ouvrir vers l’extérieur, chercher du soutien et des nouvelles énergies au delà de nos réseaux ». La lutte s’organise maintenant en assemblées d’occupation et le premier numéro du « Génie du Lieu » (5), journal de lutte de quartier a été publié cet été Début octobre, la fête de la friche a réuni plus de 400 personnes autour de concerts, chasse au trésor, ateliers, visites, karaoké et pizzas. Pied de nez aux éco-bétonneurs, les festivités se clôturaient par une tombola où le gros lot à gagner n’était rien de moins qu’une « parcelle de potager sur le quartier des Lentillères à défricher soi-même ! ».

Géo Cédille et Mickaël Correia

 

1. Le Journal du Palais, septembre 2011.
2. http://lentilleres.potager.org
3. Sociologue et géographe auteur entre autre de La Production de l’espace (1974)
4. http://jardindesmaraichers.potager.org
5. À lire sur : www.brassicanigra.org/contributions/le-genie-du-lieu-no1

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