Retour sur la batî-festation du 15 mai

Batîr un jour, sans retour

Pour cette manif on est parti de la Place Wilson, vélo-plateau, batucada et tracteur rose en tête, pour finir aux Lentillères à célébrer la nouvelle charpente du quartier, mais aussi présenter la «Zone d’Écologies Communale» inventée par les usagèr.e.s.


200 personnes joyeuses et déterminées, de la pluie, comme un revival de la manifestation d’occupation du quartier 11 ans plus tôt.
De longs tissus sont aussi venus se nouer à un char qui représentait la charpente, histoire d’affirmer la multitudes de liens solides tissés par les Lentillères ces 11 dernières années.
Une fois devant la charpente deux discours ont été lu pour venir donner du sens à cette construction, et pour raconter ce que pourrait être une Zone d’Écologies Communale : un zonage inventé par les Lentillères qui permettrait de légaliser le quartier en en conservant toute les dimensions politiques!

Première prise de parole à propos de la charpente

« On est heureux.ses de pouvoir vous présenter le double résultat de notre grand chantier, sur lequel on a planché depuis l’abandon du projet d’écoquartier fin 2019.
Le premier résultat, c’est une réponse concrète, en dur : c’est ce nouvel espace collectif :
Un bâtiment pirate
Un hangar pour se réunir et s’organiser
Un lieu où stocker nos récoltes
Un espace pour les semences
Un ring pour nos galas de boxe féministe
Une dalle protégée de la pluie pour réparer nos outils
Une halle pour le marché
Une piste de roller derby
Une patinoire parce qu’on va continuer de lutter contre le réchauffement climatique
Une cabane punkbioclimatique
Un toit pour abriter le vide grenier du quartier
Une maison jardinière pour préparer les plans de culture et manger ensemble
L’arche de noé des lentillères

Un hangar à usage collectif pour organiser les activités agricoles

Depuis janvier, des collectifs et des individus des Lentillères, de Dijon, d’Ardèche, de Rhône-Alpes, de Longo Maï et de la ZAD de NDDL ont avec nous bûcheronné, coupé, tronçonné, squatté un hangar de chantier afin de tailler, monter et lever cette charpente traditionnelle en chêne.
Nous n’avons pas attendu que les projets hors-sol de la mairie aboutissent pour donner vie aux activités dont nous avons besoin, qui nous nourrissent et nous font rêver. Aujourd’hui, les projets aux Lentillères sont nombreux et réunissent toujours plus de monde. Pour maintenir des activités collectives, nous avons besoin d’un espace commun, qui sera bâti et soigné par tou.te.s les usagèr.es du quartier, pour renforcer les activités existantes ainsi que toutes celles qui vont s’inventer d’ici les prochaines années.
Car nous resterons.

Nous nous sommes demandé à quoi ressemblerait notre quartier dans 10 ans, vu qu’il n’allait pas finir sous le béton si l’on s’en tient aux déclarations du maire. Nous avons tenté de penser ensemble, chacun.e à partir de son point de vue, son usage, sa manière de se rapporter à ce lieu, ce dont nous avions besoin pour continuer à cultiver, habiter et nous à nous organiser sur ce territoire à long terme. Chercher à détruire cette construction, c’est attaquer des désirs collectifs, c’est s’en prendre à un long processus de mise en commun et d’auto-organisation. C’est aussi attaquer la possibilité d’un avenir commun sur ce quartier que nous défendons depuis 11 ans face aux projets mortifères de la métropole.
Nous la défendrons comme nous défendrons notre légitimité à continuer à prendre soin de ces terres, ensemble, longtemps.

Ça fait des années qu’on construit sur les Lentillères, et nous allons continuer à le faire. Si plein de formes de bâti ont été expérimentées de la récup aux rénovations de squats en passant par les caravanes et les roulottes; l’abandon du projet immobilier qui menaçait le quartier nous permet aujourd’hui de nous lancer dans une construction durable, pérenne, avec ses fondations et sa charpente levée pour les 100 prochaines années, au moins. Nos maisons sont pour la plupart déplaçables et pourtant nous nous sentons ancré.es dans ce territoire pour les années à venir. Nous continuerons de défendre la diversité des manières de bâtir et de vivre ici, car ce qui nous importe c’est la possibilité d’expérimenter et d’inventer un autre rapport à la ville et à la terre.

Construire aux Lentillères c’est s’accorder avec les usagères et les usagers du quartier, s’accorder avec sa géographie et sa diversité. Construire aux Lentillères c’est construire pour nous, chez nous. 
Nous qui nous promenons sur ces chemins, nous qui jardinons, nous qui n’habitons pas Dijon mais qui nous soucions l’avenir de cet endroit, nous qui jouons au bateau pirate, nous qui habitons ici, nous qui dansons dans la cour de la grange rose, nous qui traînons là au soleil.
Donc, lorsque nous construisons chez nous, nous devons composer avec quelque chose qui existait avant et cela engage notre responsabilité.
La logique de la mairie et des urbanistes est toute autre. Eux, ils ne construisent pas sur un espace qu’ils habitent physiquement et émotionnellement. Ils pensent des projets ex-nihilo et décident de les implanter là où dans leur vision uniquement économique et gestionnaire de l’espace il y a un vide à exploiter. Ils exploitent l’espace, les entreprises, les ouvriers pour mener à bien leur grands projets. L’enjeu ne se situe pas en amont du fait de construire, d’implanter et de transformer un espace existant. L’enjeu sera, au cours du chantier, de vanter les vertus de ce qui va venir se sceller dans le paysage. L’enjeu c’est de mettre plein de mots et d’images pour magnifier le processus en cours. Pourtant il suffit de regarder derrière les grilles de ces chantiers pour voir le carnage. Le bras de fer Engrenage versus Garden State en est la démonstration récente.
Cette charpente est le fruit de plusieurs mois de chantiers mais aussi de plusieurs mois de prises de tête, de discussions et de débats pour trouver au mieux comment l’implanter, comment l’orienter, comment et avec quoi la fabriquer, la tailler et l’assembler. Nous ne cherchons pas à être irréprochables selon une pensée écologique et idéologique qui serait radicalement décentrée de la vie. Nous cherchons à faire co-exister au mieux la pluralité des manières de vivre, des activités du quartier, le bâti, les espaces cultivés, les zones en friche, les humain.es et les non-humains.

Cette charpente est en chêne. Ces chênes viennent de Bourgogne. Ils ont été récoltés par des bûcherons, des bûcheronnes et des chevaux. Ils ont été transportés par deux gros camions et un tracteur. Ils ont été sciés par des gens, des outils et des machines. Ils ont été choisis, coupés et taillés pour enfin être assemblés selon les techniques de la «charpente trad’», chevilles, tenons, mortaises et tutti quanti. C’est compliqué d’invoquer la tradition sans tomber dans des logiques conservatrices. Pour nous, choisir la «charpente trad» c’était choisir de ne pas oublier des savoirs-faires qui ont traversé les époques. C’est montrer que nous nous sentons lié.es à ce qui s’est inventé avant nous. C’est montrer qu’on se veut autant les héritièr.es et les élèves de tous ceux qui nous ont transmis des choses, que des jeunes-gens-fous et curieux qui voudraient ré-inventer les techniques de la construction DIY avec des pneus et des canettes de bière. Nous sommes heureux.ses que le quartier grandisse à cet endroit d’ambivalence, entre le passé et le futur que nous désirons. Il grandit dans un présent où toujours plus de gens viennent nous apprendre ce qu’ils savent. Dans un présent, où d’autres viennent apprendre avec nous. 
Ce chantier a déjà donné la possibilité à plein de personnes à qui on laisse habituellement peu de place dans l’univers de la construction de se familiariser avec ces techniques. Dans les mois, les années à venir, nous continuerons à partager des savoirs-faires autour de ce bâtiment, à donner de l’autonomie à celles et ceux qui en sont dépossédées.
Il n’y aurait pas de charpente sans elles et eux. 
Cette construction a ravivé des liens et des soutiens partout, pour longtemps, et ce n’est qu’un début. »

Deuxième prise de parole à propos de la ZEC

« Le chantier que nous menons depuis plus d’un an ne s’est pas fait qu’avec des planches et des clous! Nous avons aussi beaucoup réfléchi à l’avenir du Quartier.

En novembre 2019, Rebsamen a annoncé : 

«J’abandonne le projet d’écoquartier! Par contre je fais des parcelles de maraichage individuelles, et il faudra s’inscrire dans un registre pour avoir un bail et j’expulserais ceux qui refuseront»

Et on avait répondu : 

«C’est mort! Ici on la joue collectif, ce quartier ne sera pas morcelé, il restera entier avec toutes ses activités!»

Il disait : 

 «L’illégalité doit cesser». 

Et on a dit : 

«Eh , ça ne tient qu’à toi Rebs, après tout, ce n’est pas nous qui décidons ce qui est légal ou pas! T’as qu’à changer la loi!»

Mais comme on avait pas complètement confiance en lui alors on a cherché des pistes de notre côté.
Ça n’a pas été facile parce que le droit tel qu’il est aujourd’hui, il a presque tout détruit de la possibilité d’habiter collectivement des territoires.
Alors, on a décidé de le tordre un peu, histoire de s’y faire une place!

On propose de créer des Zones d’Écologies Communale!
Ce serait un nouveau zonage dans le Plan Local d’Urbanisme!
Le Plan Local d’Urbanisme c’est ce dont se servent les métropoles pour gouverner les territoires. 
C’est un document qui décide ce qu’on peut faire des terres en créant différentes zones : agricoles, urbaines, naturelles et à urbaniser.
Ça crée des cases où tout est bien rangé : on sépare là où on vit, de là où on cultive, de là où on danse, de là où on se balade. 

Dans celui de Dijon qui vient d’être voté, 300 ha de plus vont être urbanisées, les zones commerciales et industrielles vont s’agrandir, le centre-ville va encore se densifier!
Et les Lentillères pour eux, c’est une Zone à Urbaniser!
Les mondes que nous construisons n’ont rien à voir avec ça! 
Il faut en finir avec les zones urbaines où l’on étouffe, les zones agricoles désertes et dévastées, les zones naturelles sous cloche, réservées au divertissement.

Sur les Lentillères, on ne peut pas privilégier un usage plutôt qu’un autre.
Les habitats permettent de garder un œil sur les cultures et de suivre le rythme imposé par le climat.
Les patates offrent la possibilité de nourrir des hordes affamées durant les fêtes, 
Le terrain de BMX ou le parc de la Villa permettent aux promeneur.euses de s’aventurer dans le quartier,
Les arbres et les friches qui acceuillent des dizaines d’oiseaux différents sont les mêmes qui offrent à nos caravanes de la fraicheur en été,
La hall du marché devient une piste de danse, la cantine collective se transforme en atelier rap.

C’est grâce à l’entremêlement de tous ces usages que ces terres ont été sauvées de la bétonnisation!
Sans les habitant·es et les jardinier·es, sans les fétard·es inépuisables et sans les camarades de jeux qui animent le quartier, nous n’aurions pas pu faire reculer la métropole ni redonner vie à ces précieux vestiges de la ceinture maraichère de la ville.
Nous continuerons à habiter ce quartier de milles manières, c’est ce qui en fait la richesse!

Bien sur, habiter de mille manières en même temps, ce n’est pas toujours facile. 
Parfois les envies sont contradictoires, et parfois on ne sait plus ce qui nous relie les un·es aux autres… Mais nous avons toujours choisi de discuter et de chercher des solutions ensemble, en prenant des décisions en assemblée.

La Zone d’Écologies Communale, c’est une tentative pour traduire tout ça dans le vocabulaire du droit.
Dans ce zonage, deux points sont fondamentaux :
1 : l’entremêlement des usages, c’est à dire qu’on ne peut pas prendre soin de son environnement sans y vivre ou sans y être lié matériellement. 
2 : l’organisation de la zone est confiée à une assemblée des usager·es composée de celles et ceux qui connaissent, aiment et dépendent du territoire.
Ce serait donc les différents usages du territoire, qui varient selon les époques et la composition de cette assemblée, qui primeraient sur la propriété privée.

L’écologie, pour nous, c’est faire attention aux interactions entre les différentes formes du vivant, c’est parler des liens et des interdépendances qui nous permettent et nous obligent à prendre soin de nous tou·tes, occupant·es et usagèr·es du quartier, humains ou non-humains, mais aussi de ce qui nous entoure, friches, terres maraichères, chemins et petits bois, etc. 
Le communal : ce qui est géré en commun. Ces communs sont une affirmation forte face à la propriété privée. Nous ne nous approprions pas les lieux, ni la terre, individuellement, nous en avons des usages collectifs! 

Nous ne détruirons pas tout ce en quoi nous croyons pour nous adapter au droit! 
la Zone d’Ecologies Communale n’a rien de farfelu ni d’utopique : le droit peut bien se tordre pour s’adapter à ce qui existe et à ce qui se pratique au quotidien, ici, au Quartier libre des lentillères. 

La Zone d’Ecologies Communale, ce n’est pas un modèle figé, ça ne prétend pas englober la totalité de ce qui se vit.
Mais ce pourrait être une brèche dans le droit, une façon de déborder les zonages et d’imposer aux politiques, aux urbanistes et aux juristes nos manières révolutionnaires de vivre et d’habiter la ville.

Nous ne cesserons jamais de vivre, 
de cultiver,
de construire 
et de danser aux Lentillères! »

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