Paroles de jardinier-e-s

Comme promis dans le Génie du Lieu n°3, voici la publication en version complète des bons mots entendus ici et là sur la friche dans les bouches des nouveaux et nouvelles arrivant-e-s sur la friche :

 

Henry

J’ai entendu parler de la friche par l’intermédiaire d’un collègue de travail qui était à la poste comme moi. Il m’a dit que des gens s’étaient appropriés des terres pour les travailler. Il m’a affirmé aussi qu’il y avait des parcelles disponibles. Je lui ai répondu que j’étais intéressé pour aller voir avec lui sur place. Là on a vu quelques personnes. Vu qu’à l’époque, je partais en retraite, j’ai pensé que ce serait une bonne idée de faire un jardin avec mon collègue. De fil en aiguille, on a décidé de s’installer sur une petite parcelle boisée qui nous a bien plu. C’était pourtant pas le coin le plus pratique au sens où c’était une petite forêt d’élantes (ndlr : arbres d’importation exotique proliférant par rejet et doté d’un taux de croissance exceptionnel). Mais je me suis dit « Ce doit être de la bonne terre parce que personne n’y a cultivé depuis des années. Alors si on arrive à la défricher convenablement, on aura des jolis légumes. » C’est pour cette raison qu’on s’est lancé dans un travail de titan : parce que quand même déraciner des élantes est assez ardu. On nous a pris pour des fous, mais ça s’est avéré un très bon choix et on a été payé de nos efforts : même en semant tardivement, on a eu de très beaux légumes, de belles pommes de terres.

J’avais déjà quelques notions de jardinage parce dans le passé j’avais habité une petite maison avec un petit bout de terre. J’y avais jardiné avec mon épouse qui avait plus de connaissances que moi dans ce domaine parce qu’elle avait fait une formation chez un maraîcher bio en Savoie. Elle m’a transmis quelques notions que j’ai appliquées ici.

Le fait que ce soit squatté ne m’a pas donnée d’appréhensions, parce que je me disait  » de la bonne terre comme ça laissée à l’abandon, c’est du gâchis : un potentiel comme ça ne doit pas rester en jachères ».

Au début, je venais pour exploiter une parcelle individuelle et puis j’ai appris que des gens travaillaient ensemble une parcelle collective. Cela m’attirait aussi. J’ai décidé de m’y impliquer et puis de fil en aiguille, l’activité de jardinage a dérivé vers des activités annexes comme la construction de cabanes ou de serres. Comme j’aime bricoler et que j’avais des notions, je me suis éclaté là-dedans.

Pour la dernière construction en date, le snack friche, je n’avais jamais construit un espace aussi important. Je pensais que c’était vraiment ambitieux par rapport aux connaissances qu’on avait. Et puis en fait on avait des matériaux, la volonté, des gens qui nous ont aidé et la mayonnaise a pris. Au final on a une jolie petite cabane de 45m2. Certes on avait pas de permis de construire, mais vu que de toute façon on était sur un espace déjà illégal, je me suis dit que ça ne changeait pas grand chose. Et puis là encore, j’ai pas eu d’états d’âmes, ça me semblait légitime de construire. L’idée c’était de faire un « snack-friche », un lieu où on pouvait recevoir, faire à manger, se réunir, être au chaud et passer un moment convivial avec un verre ou un petit plat avec les gens de la friche et d’autres qui voudraient passer un moment tranquille.

Je doutais au début que cela puisse durer mais j’ai de plus en plus confiance dans la pérennité de l’exploitation de cette friche parce qu’il y a de plus en plus de gens qui nous soutiennent. Des sympathisants qui viennent filer des coups de main sans rien demander en retour parce qu’ils pensent qu’on fait de bonnes choses. Je pense que si on continue comme ça à avancer et travailler correctement, on finira par s’imposer face à la Mairie et par garder ces 6ha en culture.

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Johnny

En fait moi personne ne m’a jamais parlé du jardin ici, mais comme j’habite pas très loin d’ici et que je suis un fervent cycliste, je me balade beaucoup dans Dijon. Et en passant rue Phillipe Guignard et rue de l’amiral Pierre, une fois au début du printemps, j’ai jeté un Å“il et j’ai vu des gens qui faisaient du jardin. Je leur ait demandé comment il fallait faire pour en avoir un aussi. On m’a envoyé U. qui m’a dit « là, là, là et là c’est pris – moi j’en ai pris acte et j’ai vu cet endroit où c’était que de la friche, avec de grosses épines, fallait voir. Moi le terrain je l’ait défoncé en février-mars et j’ai commencé à planter au mois de mai. J’en ai chié mais comme rien ne me fait peur, voilà.

Moi j’habite pas loin, rue d’Auxonne, j’ai une maison, mais pas de terrain dessus et comme j’avais toujours rêvé d’avoir un jardin… Je me suis rendu compte que pour en avoir un il fallait que j’aille tout au bout de la rue ou prospecter vers Longvic, mais pour moi c’était important que ce soit pas loin de chez moi et facile d’accès. Là je suis à 2min en vélo et je viens quand je veux.  Là je suis tout seul. Au début, il y a un copain qui m’a demandé si je pouvais pas lui trouver un jardin. Je venais juste de trouver cette parcelle, alors, je lui ait dit « Ã§a tombe bien, j’ai en un ». Je lui dit qu’on pouvait se mettre ensemble et agrandir, mais bon le gars tu vois bien c’était un parisien, ça a pas suivi.

Bon après il y a mon voisin avec qui j’ai une maison en copropriété. Il me voyait revenir avec les potirons et les courgettes chez moi. Là il m’a dit « tu sais pas où c’est que je pourrai trouver un jardin ? » Je lui ait répondu : « si là bas, faut que tu défriches ». Et alors il s’est mis à 50m de moi.

Moi ça m’inquiétait pas de me mettre là : franchement les autres gens qui sont ici, ils l’ont pas forcément demandé et c’est des gens comme toi et moi. Et puis dans la vie, au bout du chemin, on sait pas forcément ce qu’on va devenir.

Bon après c’est bien beau de faire un jardin mais il faut déjà savoir si la terre vaut quelque chose. Si c’est pour se retrouver dans du caillou ou de la terre ingrate, tu te dis que c’est pas possible. J’aurai pas persisté. Mais là dès que je me suis mis à creuser entre les épines, je me suis aperçu que c’était de la terre comme j’avais jamais vu. Nulle part ailleurs tu vois de la terre comme ça. Quand on me dit qu’ils veulent construire des immeubles ici, je dis que c’est un scandale. C’est pas normal, déplacer de la terre comme ça qui est là depuis des siècles, c’est un peu comme si on te disait « la tour Eiffel à Paris elle fait chier, on aurait qu’à la déplacer et la mettre à Toulouse. » Ça fait pas sens, tu vois ce que je veux dire ?

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Paulo

J’ai pas entendu parler d’ici par des tracts ou des papiers mais par des on-dits, des amis… J’étais déjà venu à une fête de quartier à la grange rose, à un concert où des gens jouaient de la musique avec de grosses ampoules sur le crâne. Alors je suis venu sur les jardins pour me faire une idée par moi même de ce qui se passait. Là cette ambiance détonante de gens qui font tout et n’importe quoi m’a bien plus.

On est un groupe de 6 potes. Pour moi l’envie de faire du potager vient du désir de trouver quelque chose de concret dans le travail qui sorte du rapport au salariat et à l’argent : l’envie de produire quelque chose avec ses amis et de trouver la satisfaction de faire les choses par soi-même. C’est aussi un moyen de créer des liens avec d’autres gens, sachant que les convictions politiques que j’ai me semblaient être assez communes avec ce qui était porté ici. Pour moi le potager c’est aussi un vecteur, un moyen de discuter de ce qu’on pourrait faire ensemble par ailleurs dans le futur.

Au début c’est moi qui ait proposé aux 5 autres potes et tout de suite ça motivait tout le monde d’avoir un bout de jardin, même ceux avec qui je ne partage pas forcément des questionnements politiques plus critiques, par exemple par rapport au travail salarié. On a défriché et labouré dans la foulée.

Pour trouver la parcelle on a eu une démarche un peu spéciale, on a demandé par mail sur l’adresse du potager collectif. C’était un peu bizarre, mais on se disait que comme ça tout le monde serait au courant. Et puis on savait qu’il y avait des débats sur la pertinence de défricher ou pas de nouvelles parcelles. Et bon, on ne voulait pas s’imposer non plus. Je suis venu aussi sur place discuter avec les gens. A partir de là on a décidé de s’y mettre, tout en tenant compte du fait qu’il y avait des personnes qui voulaient garder des espaces de vies animales et végétales plus « sauvages » et ne pas mettre des potagers partout. Cela dit, la plupart des gens qu’on a croisé étaient quand même super motivés que de nouvelles personnes arrivent, donc on s’est senti les bienvenus.

On y connait pas encore grand chose en potager et comme on est arrivé à l’automne pour l’instant, on s’est contenté de défricher et labourer, et puis on a semé un petit engrais vert qui donne à notre terrain un petit air de green de golf qui rend pas mal. Et puis on a mis un peu d’épinards, d’ail et de fraisiers, mais dans l’ensemble on garde surtout la parcelle pour le printemps.

On avait R. à coté de chez nous qui s’était construit un petit abri où il rangeait ses outils. On lui a demandé gentiment si on pouvait lui emprunter. Il était ok. Bon…dans l’enthousiasme des débuts, on lui en a cassé quelques uns… Mais ça n’a pas posé de problèmes dans la mesure où on a retrouvé les manches et réparé. On avait pas besoin de grand chose à la base. Avec 4 ou 5 outils de base, on était bon pour commencer.

Pour le moment, il n’y a pas encore d’eau mais on a pour projet de rallumer une pompe sur un puits qui est juste à coté. Il y a tout un tas de canalisations qui sont restées vu que c’est un ancien site de maraîchage. Il va falloir en tester l’étanchéité et ça pourrait arriver jusqu’à chez nous et alimenter d’autres jardins en passant. En attendant on se fait aussi une petite cabane et on va récupérer l’eau de pluie.

Le fait que c’est squatté pour moi c’est plutôt attirant. On sait qu’ils vont tout faire pour réaliser l’eco-quartier. La démarche de désobéissance est logique dans la mesure où on refuse de se faire marcher dessus. Je sais pas ce que signifierait gagner face à l’eco-quartier, même si je me pose régulièrement la question. Mais la première victoire c’est les liens qui se sont créés entre les gens et le fait que cela constitue un exemple d’auto-organisation où on a pas besoin d’un Maire pour nous dire ce qu’on peut faire ou pas. Là on part ensemble sur un projet et on se débrouille entre nous pour y arriver. Au-delà de ça, une autre vraie victoire, si jamais un jour il parviennent à bétonner ici, ce sera d’arriver à faire perdurer les liens qui se sont agglutinés là sur d’autres projets que ces jardins. Mais dans un premier temps, il faut tout faire pour garder ça, voire même faire en sorte que ça s’étende.  Pour l’instant, à ce que je comprend, les endroits qu’ils acceptent de laisser sont seulement les endroits où la terre est pourrie, mais je pense qu’il est tout à fait possible qu’on les fasse lâcher plus.

J’ai effectivement fait des études scientifiques assez poussées. Ce que je faisais à la fin, les nano-sciences, c’est un domaine assez spécifique et barré, assez controversé aussi. Je discerne mal, vu comment on s’organise ici, à quoi ça pourrait nous servir. C’est sûr que la nano-science par rapport au jardin c’est moins réappropriable. Après ce que j’ai appris en général en physique-chimie, l’esprit scientifique, je suis sûr que ça peut servir dans certaines bricoles. J’espère en tout cas parce j’aimerais bien ça si j’arrive à penser à partir de là des partages de connaissances et d’outils.

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Anne

Je suis habitante du quartier mais j’ai entendu parler d’ici par un tract dans ma boîte aux lettres et puis par les activités qui ont été organisées sur le potager par le biais du collège des Lentillères où sont mes fils. Ils étaient venus faire des plantations avec leur prof de SVT. Cela leur avait bien plu, alors quand mon fils a vu le tract dans la boîte au lettres, il m’a dit « il faut y aller' ». On a rencontré les gens sur la friche. Cela nous a tout de suite intéressé d’avoir un jardin parce qu’on en a pas. On en avait cherché un il y a un moment de ça mais on avait pas trouvé.

C’était super simple pour trouver la parcelle. On est arrivé pendant les dernières vacances de Pâques. On a rencontré quelqu’un qui nous a fait visiter, qui nous a dit « si vous voulez vous installer, il y a ce coin là ou celui là ». Alors, on a immédiatement choisit. Franchement, on est arrivé sans préméditation, et quand on est reparti, on avait un jardin. Ce sont les enfants qui ont choisit : ils voulaient des arbres autour pour construire une cabane. A la base c’était plutôt le grand qui a 13 ans qui était intéressé mais le petit s’y est mis aussi. Avec eux c’est pas mal du jardin loisir. Il y a eu d’autres enfants de leur collège qui sont revenus en famille aussi. Là, on a des nouveaux voisins roms qui retapent les maisons derrière.

Quand j’étais gamine, mes parents avaient un jardin, mais sinon je n’avais aucun savoir-faire particulier. Et puis en arrivant ici, on a planté des concombres, des tomates, des courges, des salades, du patidou, du maïs. Et tout a poussé. On a pas encore goûté la courge mais elle est prête. On a demandé des conseils aux maraîchers d’à coté avec qui on est voisins, un peu lu, observé, mais c’est aussi pas mal le feeling. Franchement, on plante des graines et ça pousse. On a quasi pas eu besoin d’arroser. C’est vrai que l’année était pluvieuse, mais même quand on est parti 3 semaines cet été, au retour rien n’avait séché. L’eau doit pas être super loin en profondeur.

Le fait d’occuper illégalement un jardin ne nous faisait pas peur. On s’est dit que ça durerait le temps que ça durerait. Après c’est vrai que si maintenant ça s’arrêtait on serait vraiment déçus. On voudrait que ça perdure. Moi je pense même qu’il faut exporter ce concept dans d’autres quartiers. C’est drôlement sympa d’avoir un espace comme ça en ville, libre mais qui fonctionne très bien tout seul. C’est un peu un poumon dans la ville. Déjà, quand on est ici on se croirait vraiment à la campagne. Et puis ce qui est vraiment sympa aussi c’est les liens que ça crée. Je suis du quartier et j’ai rencontré certains de mes proches voisins ici. On ne se connaissait pas avant parce qu’habituellement on se croise sur les trottoirs mais sans se parler, sans se dire bonjour. Au niveau d’un quartier c’est important ce que ça apporte socialement, alors au niveau de la ville c’est une démarche à faire valoir. Je suis sûr que d’autres dijonnais seraient intéressés. C’est un espace dit collectif et il porte bien son nom. Il a une fonction très particulière, et c’est dommage qu’il n’y en ait pas ailleurs à ma connaissance et d’autant plus regrettable que celui-là soit menacé de disparition. On est allé voir le quartier Vauban à Freibourg en Allemagne qui est aussi né d’une occupation. Bon ça ne ressemble plus vraiment à ça mais on sent qu’il y a un esprit plus ouvert qu’ailleurs qui perdure.

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Caro

J’ai entendu parler d’ici parce que les jardiniers faisaient une espèce de gros repas un samedi après midi en ville. Ils servaient des repas gratuit et donnaient des salades. Cela nous a plu, et puis là ils nous ont expliqué un peu le concept des jardins. Et puis on est venus avec mon copain pendant le chantier collectif d’été du quartier…

En fait j’ai un BTS production horticole, alors ça ma intéressé tout de suite et mon copain aime bien jardiner aussi. On a un petit appart’ au centre ville, du coup on a pas de jardin ni trop d’espace, et ça nous manque à fond. Du coup venir faire du jardin ici c’est génial. Avant, on avait pas essayé  d’avoir une parcelle sur les jardins familiaux, parce qu’on nous avait dit que c’était très long pour avoir une place. Et puis c’est pas pareil qu’ici. Ici on lutte, on fait pas juste notre parcelle pour avoir nos légumes à nous.

La première fois que je suis venu un samedi aprem’ , on est tombé sur une personne que j’ai jamais revu d’ailleurs, qui nous a dit : « nan, faut pas venir ». Et je me suis dit que c’était bizarre qu’on avait dû tomber sur une mauvaise personne parce que ça pouvait être qu’un super truc ici. En fait je vais chez une coiffeuse bio à Dijon et une fois elle m’a demandé ce que je faisais dans la vie. Je lui ait répondu que je recherchait un emploi dans l’agriculture, et là elle m’a parlé du potager des Lentillères et réexpliqué le concept. Elle m’a dit qu’elle avait son fils qui vivait là-bas là bas et que c’était cool. Ça nous a décidé à revenir. Sur place, j’ai demandé qui prenait en charge l’espace parce que je connaissais pas trop et une personne a répondu « Mais non il n’y a pas de chef’ ici ». Je me suis dit « ah mince j’ai dû dire une connerie ». Je me suis rendu compte effectivement à la longue, qu’il n’y avait pas de chefs. Mais moi je ne connaissais pas, je cherchais surtout une personne qui pouvait nous expliquer comment s’impliquer. On l’a trouvé en allant au marché du jeudi.

On s’est installé juste après M. là bas. On a commencé, il y a trois semaines. D’abord on est venu travailler sur le potager collectif, et puis après on a aussi occupé une parcelle pour nous avec l’aide de M.. On a défriché pendant un moment parce qu’il y avait pas mal de chiendent. On a d’abord emprunté de quoi travailler dans une cabane où sont rangés les outils du potager collectif, mais après on en a trouvé facilement chez Emmaüs ou dans les brocantes. Comme on s’entraide tous et qu’on se prête les outils, il n’y a pas forcément besoin d’acheter des outils neufs. Pour l’eau, j’ai vu qu’il y a un tuyau qui passait vers chez M. et on a des tonneaux pour récupérer l’eau de pluie donc c’est impeccable, tout est déjà installé…

Je me suis rendu compte que j’avais beaucoup à apprendre. J’ai fait 2 ans de BTS en maraîchage, mais voilà t’apprends pas vraiment l’art de cultiver quand tu fais un BTS. C’est bizarre mais ce que j’ai fait le plus dans ces études, c’est de l’économie, afin d’estimer si ton entreprise de maraîchage va être viable. On te donne les normes, les règles et il faut que ça marche. Il y a cette obsession constante pour la question des sous, et des sous, et ça c’est pas mon truc. Alors qu’ici les légumes faits par les maraîchers sont distribués à prix libre et on sent bien que les gens sont animés par d’autres passions que la rentabilité.

Sur la friche, c’est comme une évidence quand on rencontre quelqu’un de dire « bonjour », de discuter un peu, alors qu’en ville les gens ne se parlent pas. Ils te regardent en mode : « Qu’est-ce qu’elle veut celle là ? ». Ici, on a l’impression d’être dans un petit village, tout le monde se connait, ça donne envie de partager. Tout le monde a pas les mêmes idées mais ça se rejoint plus ou moins.

On va tous les jeudi au marché depuis que ça a démarré. Même si on peut avoir des légumes au potager collectif, on va quand même au marché parce que c’est un espace convivial et qu’on a envie de le faire vivre. On achète plus que nos légumes là bas d’ailleurs, parce que ça suffit largement

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Julien

Moi je suis venu sur le potager par J. et M. qui avaient une parcelle et qui ont ramené sur le terrain une vieille caravane qui allait moisir. Elle était là et moi ce qui se passait ici m’intéressait bien.

Je cherchais un coin pour vivre parce que j’avais pas trop d’argent, j’étais un peu en galère. Du coup au début j’étais dans une tente pendant environ un mois et après je me suis installé dans cette caravane. J’ai complétement refait l’intérieur : bois, contreplaqué, lino. C’était pratiquement que des matériaux de récup’ à part 2-3 vis ou clous. Cela fait quelques mois que je suis là à passer des moments vraiment sympas et à rencontrer des gens d’un peu partout. C’est ce type d’endroits qui me font vraiment rester à Dijon. Par rapport aux tanneries où ça brasse pas mal, ce lieu apporte d’autres énergies mais toujours avec le même type de démarche collective et solidaire, avec l’idée de reprendre en main nos espaces de vie.

Tu vois l’anarchie est devenu un logo marketing comme un autre. On voit des tee-shirts avec un « A » cerclé au marché entre des d’autres de Johnny et fifyty cents. Mais là il y a quelque chose de concret, comme ces gens qui bossent pour ouvrir des maisons pour des migrants d’un peu partout.

Ici, j’ai rencontré pas mal de gens qui ont des parcelles, J’ai fait la connaissance de B. qui est un retraité marocain excellent qui m’apporte tout le temps des petits gâteaux, du thé à la menthe. Il ma raconté qu’il y a plusieurs années de listes d’attentes sur des potagers collectifs, il avait déjà essayé… Alors lui il est venu prendre une parcelle ici.

Je crois que ça se passe un peu comme ça, vraiment au feeling et c’est ça qui est sympa. Il y a cette volonté de reprendre l’espace par le maraîchage, des activités diverses, des chantiers, d’apprendre comment on coupe du bois, comment on fait une structure de cabane. C’est une sorte de MJC pour les jeunes et les vieux. Dans les lieux alternatifs, on peut avoir tendance à rester dans des groupes parfois un peu fermés avec une identité très marquée. Mais là, avec les jardins entre autre, c’est vraiment ouvert. Chaque jour, il y a quelqu’un qui va découvrir le lieu et amener ce qu’il sait. Tu peux te retrouver autant avec un papy, que des punks, des étudiants, des prolos, et ça c’est hyper bien.

Au-delà du coté intergénérationnel, il y a aussi l’aspect intercommunautaire. Par exemple moi je suis voisin d’une famille de Roumanie à la rue qui se sont installés là, dans la maison à coté. C’est une baraque qui était déjà vide depuis des années et de laquelle d’autres roms avaient été expulsés à coup de tractopelle par le propriétaire. Il ne voulait pas s’embarrasser de procédure légale et il préférait détruire son propre bien plutôt qu’il serve en disant « ceux là faudrait tous les mettre à la mer ». Et puis ensuite la maison avait brûlé. Eux, ils ont repris cette maison, et ils ont nettoyé et réparé convenablement un espace dans lequel je me serai jamais dit qu’il serait possible de vivre. Moi ça m’a rappelé ma mère qui avec pas grand chose essayait de faire une petite maison un peu propre. C’est un peu aussi comme à la boucherie occupée par les demandeurs d’asile, où finalement ils avaient réussi à rendre accueillantes et cosy des chambres froides, à en faire des chambres alors qu’ils avaient que dalle. Il y a 2 enfants roms, A. et D., une qui a 10 ans et l’autre 14. Ils m’ont demandé de leur apprendre le français parce qu’ils débarquent ici. Ils sont vraiment très éveillés, bricoleurs et matures… On a pas l’habitude de voir des enfants avec cette énergie là, parce que souvent, dans nos pays, on étouffe un peu la curiosité.

Et là bosser avec eux, lire des histoires, peindre un peu, passer du temps à bricoler des vélos, moi ça me fait du bien et ça fait du bien au lieu je pense. Il y a tous ces échanges de clous, de vis, de gâteaux, de thé, tout ces petits moments qui enrichissent la vie.

Et puis, c’est du voyage à coté des chez toi : ces gravures en arabe dans le squat des migrants, ces gens d’ailleurs, ces peintures d’animaux de partout avec des mosaïques le long du mur de la voie ferrée. En fait c’est d’utilité publique, c’est pas des projets farfelus, ça tient carrément debout. Après, le fait qu’ils viennent effacer ces Å“uvres d’art urbain, c’est juste la logique de la loi, ce regard sinistre qui tue la magie. Moi j’ai beaucoup à apprendre de tout ça parce que je suis né en France, et j’ai passé pratiquement toute ma vie ici ou en Europe en tout cas. Alors, quand des gens viennent d’ailleurs avec plein d’autres savoirs, il faut en profiter.

Le formatage contre les roms ou les étrangers en général, c’est une logique que tu ne peux pas comprendre si tu ne l’as pas vécue. Ici ça te donne une chance de sortir des stéréotypes. Moi je suis pas du genre à vouloir persuader les gens avec mon opinion. Cette friche devenue potager et lieu d’échanges, je ne cherche même pas à convaincre les gens que c’est important qu’elle existe. C’est une histoire de temps, de passage, de gens qui au bout d’un moment vont se dire : « Mon voisin il y va, pourquoi j’irais pas ? », et puis passer le jeudi au marché prix libre, rencontrer des gens, et voir que c’est pas un ghetto, qu’il y a des gens de toutes sortes, des gens branchés rock and roll, culture biodynamique ou opérette.

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