Novembre 2017: Les luttes et résistances mexicaines se sont invitées à Dijon .

Pendant le mois de novembre le Quartier Libre des Lentillères et l’espace autogéré des Tanneries II, à Dijon, ont organisé un cycle dédié aux luttes et les résistances mexicaines. Les motivations de ce cycle étaient celles du partage et de la découverte d’autres réalités, mais pas que… Les médias hégémoniques et les campagnes de marketing nous vendent le Mexique soit comme un pays où on peut investir sans soucis, soit comme le paradis pour les occidentaux qui peuvent se payer un séjour dans une zone d’ « écotourisme », soit comme un pays ultra-violent sans jamais trop approfondir sur les causes, les contextes locaux et les intérêts extérieurs. Ils omettent les voix des résistances, comme si on ne pouvait rien y faire dans/pour/avec ce pays exotique et lointain. Ces résistances sont méconnues pour beaucoup de gens. Même au Mexique, on parle peu ou mal des gens qui en ont marre et qui se mobilisent contre cette guerre, contre les différentes formes de néocolonialisme sauvage. On méprise souvent ces gens qui résistent depuis des décennies ou des siècles… Ici, ces voix-là ont trouvé un espace…

Résistances et organisation face au « capitalisme vert » et aux séismes dans l’Isthme de Tehuantepec

Le cycle a commencé le 2 novembre, jour de la Fête des Morts au Quartier Libre. C’était un jeudi et des bons p’tits légumes étaient proposés sur le marché du « Jardin des maraîchères », un marché hebdomadaire à prix libre permettant aux personnes de se nourrir autrement avec des produits issus d’un projet de maraîchage local. Les gens venant remplir leurs paniers au Quartier ont pu visiter un autel traditionnel mexicain. A cette occasion, l’altar de muertxs a été dressé en souvenir des personnes décédées lors des récents séismes à Oaxaca, Chiapas, Puebla, Morelos, l’Etat de Mexico et la ville de Mexico.

 

Pour la deuxième date de ce cycle, l’écrivain et réalisateur Alessi dell’Umbria était l’invité spécial pour la projection de son film documentaire Istmeño : le vent de la révolte. Cette rencontre a eu lieu au cinéma ElDorado, seule salle indépendante de Dijon. Le film nous immerge dans la lutte des peuples de l’Isthme de Tehuantepec contre les méga-projets des parcs éoliens des multinationales. Dans cette chronique de la résistance, les populations de cette région d’Oaxaca se mobilisent pour la défense de leur territoire, pour préserver leurs modes de vie, la pêche, l’élevage, l’agriculture du maïs sans OGM. En discussion avec le réalisateur, nous avons appris que la lutte des peuples de l’Isthme contre les projets éoliens continue face à l’arrivée d’EDF, qui reprendrait les travaux dans les aérogénérateurs en décembre dernier.

Alessi dell’Umbria en a profité pour décrire la situation dans cette zone du Mexique après les séismes en septembre dernier : plusieurs milliers de personnes ont perdu leurs maisons et des infra-structures publiques sont gravement endommagées. Face à la manipulation politique des séismes, les habitant.e.s se sont auto-organisées pour la reconstruction de leurs communautés. A la fin de sa présentation, le réalisateur a rendu hommage aux personnes qui ont perdu la vie lors des tremblements de terre dans cette région – dont certaines figurent dans le film, et une cagnotte solidaire a été lancée par les collectifs organisateurs pour soutenir la reconstruction de l’Escuela Preparatoria Comunitaria “José Martí” à Ixhuatán, toujours dans la zone de l’Isthme.

 

«Aux Lentillères, el florecimiento de los pueblos » [i]

Le troisième rendez-vous a commencé le 12 novembre au matin et s’est prolongé sur une semaine dans le Quartier Libre des Lentillères. « La Niña », une camarade graffeuse franco-chilienne venue de Grenoble, a réalisé un atelier de peinture sur la symbolique maya dans l’art zapatiste avec des enfants et des adultes. Elle s’était inspirée, entre autres, du travail de Beatriz Aurora. Le dimanche soir, elle a partagé des lectures et des expériences sur les féminismes et les luttes des peuples originaires au Mexique et au Chili.

Pour se réchauffer durant cette froide semaine de novembre à Dijon, une fresque aux chaudes couleurs collectives a été peinte sur un mur à l’entrée du Quartier. Dans les 7 hectares occupées par les habitant.e.s et défendues par des personnes et des mouvements solidaires, il existe des travaux concrets de résistance et de construction d’alternatives à la société : vie collective, maraîchage, solidarité avec les personnes migrantes, atelier vélo, écologie, féminismes, et un sens du partage extraordinaire. Le projet politique des Lentillères – en pleine ville, contre l’urbanisme dévastateur – est l’une des fissures au système qu’il faut continuer d’entretenir, d’ouvrir et de disséminer en France, dans l’Autre Europe et dans le monde.

«Aux Lentillères, el florecimiento de los pueblos » est la phrase qu’on peut lire sur cette fresque d’environ 8x3m réalisée à la bombe de peinture et au pinceau. Elle représente le tissage des résistances d’ici et d’ailleurs. On observe des détails sur la cosmogonie maya : le Ciel, la Lune, le Soleil, la Terre, la pluie, un ceiba, arbre sacré des mayas, symbolisant le Cosmos. En plein parcours de Marichuy, la porte-parole du Conseil Indigène de Gouvernement au Mexique, la femme indigène est présente dans la fresque comme un élément essentiel dans la défense de la vie et dans la réinvention de la politique. Derrière les milpas travaillent discrètement et fermement cell.eux qui s’organisent et luttent contre le capitalisme prédateur : « Ce sont les camarades d’ici, de la friche, comme ça pourrait être les gens de NDDL, de Bure ou de Roybon…»[ii]. Pour « La Niña » et les participant.e.s à cette fresque, il était important de faire figurer les points communs entre les luttes : la récupération et la défense des terres, le rapport à la nature, l’agriculture, l’autonomie, l’organisation et la construction de nouveaux mondes face à un seul ennemi commun. Comme le réfère la Sexta déclaration de la Forêt Lacandone, c’est la lutte qui nous rassemble.

Enfin, cette oeuvre est une commémoration aux étudiants d’Ayotzinapa portés disparus par la police depuis 2014 : 43 étoiles illuminent le ciel de cette fresque en guise de dénonciation contre la violence d’Etat et en solidarité avec les victimes de ce crime dans la demande et la construction de justice et de vérité.

« Adieux au capitalisme » !

Un événement important a eu lieu lors de la quatrième rencontre, tout en étudiant l’oeuvre de Jérôme Baschet, nous avons fait nos Adieux au capitalisme[iii]. Pour ce faire, les participant.e.s ont essayé d’affiner leurs réflexions critiques du capitalisme par la révision de quelques concepts et théories. Ensuite, les expériences des personnes qui côtoient et participent à la construction de nouvelles formes d’organisation politiques et sociales, aussi bien de manière locale que globale, ont enrichi la discussion et ont provoqué une série de questionnements sur les différentes façons de concevoir des alternatives en dehors du système capitaliste : la redistribution des richesses, le travail, les réseaux… Quels éléments de la théorie existent déjà dans nos pratiques ? Dans l’ouverture à d’autres réalités ? Dans la mise en réseau pour une lutte globale ?

Pour rappel, à l’occasion de l’exposition zapatiste itinérante « pARTage : Face aux murs d’en haut, les brèches et la résistance d’en bas », une délégation était venue à Dijon en avril dernier. Tout en découvrant le Quartier, Rocío Martínez et Jérôme Baschet ont partagé la réalité, la lutte et les arts contre l’hydre capitaliste des communautés mayas zapatistes du Chiapas. Cette délégation avait aussi comme mission celle de diffuser un appel à contribuer à « faire tomber les murs ». Ce message faisait référence à l’absurdité du mur (qui existe déjà en partie) à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique mais aussi à la crise humanitaire en Méditerranée, à la situation des migrant.e.s d’Amérique Centrale, aux réfugié.e.s africain.e.s, aux déplacements forcés en zones d’extrême violence dans le monde entier. Leur visite avait déjà suscité des interrogations qui ont à la fois encouragé la réflexion-action dans laquelle s’est inscrit le Cycle Mexique en lutte.

 

Pour continuer, le programme invitait à la découverte d’autres régions et d’autres luttes ! Le documentaire Cherán : en route vers l’autonomie, une production de la télévision communautaire TV Cherán, rassemble l’expérience des femmes et des hommes de Cherán K’eri dans le Michoacán. Après 6 ans de lutte, illes nous racontent leur façon de s’organiser contre les différentes formes de destruction du capitalisme auxquelles illes sont confronté.e.s : la terreur, la destruction de l’environnement et la corruption des partis politiques en collusion avec le crime organisé. C’est ainsi que commence le processus d’autodétermination politique par la lutte juridique, la mise en place de leur propre gouvernement basé sur des traditions locales (us et coutumes) et l’autodéfense citoyenne. Quand les gens de Cherán ont appris que leur documentaire allait être projeté à Dijon, illes ont envoyé une grande accolade rebelle, nous invitant à venir leur rendre visite. Les gens d’ici envoient un abrazo de retour.

 

Pour la dernière journée du cycle, un « brunchito » (« tamales », « huevos a la mexicana », « atole » et d’autres spécialités) a été dégusté aux Tanneries II. Après l’inauguration du « Caracolito », l’espace conçu pour les enfants, différentes lectures et discussions ont eu lieu tout au long de la journée. En premier lieu, deux voyages dans le temps et dans l’espace. Première étape du voyage : l’invasion espagnole au xve siècle racontée sous la Vision des vaincus[iv], c’est-à-dire du point de vue des indigènes, avec des détails frissonnants de la terreur perpétrée par les « conquistadores » et la ruine des civilisations originaires. Pour la deuxième étape, les convié.e.s sont parti.e.s dans une visite guidée de la ville de Mexico en octobre 1968, lors du massacre étudiant pendant La nuit de Tlaltelolco[v]. Pour remonter la morale, sur la route de retour à travers la forêt Lacandone, plusieurs voix ont récité des Contes rebelles du Sous-commandant Marcos[vi].

Pour finir la journée, deux présentations. A 3 ans et 2 mois du massacre et la disparition forcée des étudiants de l’Ecole Normale Rurale d’Ayotzinapa, la première de ces présentations avait pour but celui de rappeler que la lutte et l’exigence de justice et de vérité reste toujours d’actualité. Face à la banalisation de la violence, les mensonges des médias, les irrégularités des enquêtes officielles et la désinformation, le mouvement social, présent au niveau international, persiste en soutien aux familles des étudiants disparus et assassinés ainsi qu’aux étudiants ayant survécu au massacre. Le message : la pression et la solidarité internationales ne doivent pas cesser.

Pour la présentation de clôture, nous avons eu des nouvelles toutes fraîches de l’Isthme de Tehuantepec. Un camarade ayant passé un mois dans la région détruite par le séisme a fait un compte-rendu de son expérience : la rencontre avec la jeunesse, la construction de l’autonomie communautaire, le sens de la comunalidad[vii]...

 

Ce cycle a ouvert des moments d’échange sur des modes d’organisation politique et sociale qui empêchent l’avancée de l’hydre capitaliste. Des milliers de personnes résistent de l’autre côté de l’océan, à l’autre bout du monde…Et leurs luttes résonnent ici. Elles suscitent des questionnements en terme de solidarité et d’apprentissage : Faudrait-il partir là-bas pour les connaître de plus près ? Quels moyens de nous soutenir les uns les autres depuis nos géographies ? Comment sortir des temps de l’urgence imposés d’en haut pour bâtir des choses ensemble ? Pour l’instant, il semble essentiel d’aller à la rencontre de l’autre, de se reconnaître dans l’autre, de prendre les fils de différentes couleurs pour le tissage et le métissage des luttes qui perdurent dans le temps.

 

Un grand merci à :

Alessi dell’Umbria

L’équipe du Cinéma El Dorado

La Niña

Tv Cherán
L’équipe de traduction de la Sexta

Les différents collectifs du Quartier des Lentillères et des Tanneries II

Toutes les personnes ayant participé au cycle et contribué à la cagnotte pour la reconstruction du lycée autonome Preparatoria Comunitaria José Martí.

 

[i]         « Es la hora del florecimiento de los pueblos » : « L’heure de la floraison des peuples a sonné » est la convocation à soutenir l’initiative de l’EZLN et du Congrès National Indigène (CNI) dans la constitution du Conseil Indigène de Gouvernement (CIG) et l’enregistrement de celui-ci pour participer aux élections présidentielles de 2018. La porte-parole du CIG, María de Jesús Patricio Martínez, connue sous le nom de Marichuy, une femme indigène de la région nahua, ne cherche pas exactement qu’à devenir candidate indépendante pendant cette campagne : « Ceci est une étape supplémentaire sur notre chemin pour nous retrouver avec ceux que nous voulons écouter et pour les appeler à s’organiser » « Il est temps d’unir enfin les forces… de faire bouger le monde… de montrer que nous sommes capables de soulever nos peuples »

 

Plus d’infos sur le CIG et Marichuy :

Rencontre sans frontières avec le Conseil Indigène de Gouvernement (CIG) et sa porte-parole, Marichuy

Paroles de Marichuy et du CIG au dépôt de leur candidature

Arrivée du Conseil Indigène de Gouvernement à Guadalupe Tepeyac

Visite le site du Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte.

 

[ii]          La Zone à Défendre de Notre-Dame-des-Landes (ZAD NDDL) est en résistance contre un projet d’aéroport, pour la défense de l’écosystème, des terres agricoles et d’un mode de vie. Dossier Notre-Dame-des-Landes de Reporterre.

Bure : un groupe de militants, habitants et paysans sont en résistance antinucléaire contre le projet de stockage de déchets radioactifs en grande quantité dans le sous-sol de ce village. Dossier Déchets nucléaires de Reporterre

            Roybon : dans la fôret de Chambaran, il existe une opposition au projet de Center Parcs qui prévoit un “complexe touristique de nature artificielle énergivore”. Dossier Center Parcs et Roybon de Reporterre.

 

[iii]Baschet, Jérôme (2014), Adieux au Capitalisme, (rééd. 2016), La Découverte, Paris.

 

[iv]Oeuvres et lectures conseillées : Nathan Wachtel, (1992), La Vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la Conquête espagnole (1530-1570), Gallimard, Paris. Première parution en 1971 ; Miguel León-Portilla, La Visión de los vencidos. Relaciones indígenas de la conquista, UNAM, Mexico (Edition originale : 1959) ;  Baudot, G. et Todorov T. (2009), La conquête, récits aztèques, Éd. du Seuil.

 

[v]Poniatowska, Elena La Nuit de Tlatelolco. Histoire orale d’un massacre d’État, Toulouse : Éditions Collectif des métiers de l’édition, coll. «À l’ombre du maguey», 2014, p. 303. Édition originale : La Noche de Tlatelolco. Testimonios de historia oral, Mexico, Ediciones Era, 1971.

 

[vi]Livre en français: Collectif Grains de sable (coord.), (2014) Contes rebelles, Récits du sous-commandant Marcos, Le Muscadier, France ; Livre en espagnol: Red de Solidaridad con Chiapas de Buenos Aires (coord.), (2009) Los Otros Cuentos, relatos del Subcomandante Marcos, Artes Gráficas Chilavert, Buenos Aires, Argentina.

 

[vii]Voir aussi : “La communalité entre réalité et utopie” de Georges Lapierre

 

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