Le droit et les territoires en lutte : quelques retours d’expériences

Le 30 août 2020, dans le cadre des rencontres « ZADenVies » qui se sont tenues à Notre-Dame des Landes, plusieurs d’entre nous ont participé à une discussion publique intitulée « Face au Plans Locaux d’Urbanisme, débordons les zonages ! ». Cette discussion rassemblait des membres de la commission habitat de la ZAD de Notre-Dame des Landes, des Jardins des Vaîtes, de Notre Affaire à Tous, de Superlocal et d’Halem. Une partie de la présentation publique était consacrée à confronter nos expériences sur la place du droit dans les luttes. Nous la retranscrivons ici parce qu’elle apporte quelques retours sur la complexité de nos rapports aux institutions juridiques.

Est-ce que le droit apporte une solution pérenne ?

Une personne de la ZAD : Il n’y a jamais de certitude totale sur la pérennité de nos lieux, et le droit en crée l’illusion alors qu’il peut aussi être remis en question. C’est pas le PLUi qui crée la pérennité de ce qui se passe ici, c’est le rapport de force politique, les liens entre nous.
Une autre personne de la ZAD : Le droit ne garantit jamais ce que l’on fait dans ce genre d’espace. On fait les choses parce qu’elles nous font sens, pas parce que on a le droit de les faire ! Il y a des formes de droit qui peuvent mieux correspondre à ce que l’on fait. Mine de rien les acquis sociaux qui ont été obtenus dans les luttes se sont souvent inscrits dans le droit. Pour moi, les combats qu’on mène ne sont pas juste pour la ZAD. Il va falloir changer nos manières d’habiter, avec plus d’entremêlement d’usages, rural et urbain. Il va falloir que ça soit reconnu. Pour que ça modifie des choses à des échelles sociétales.
Une personne des Vaîtes : Les Vaîtes, ça mélange des habitats en cabanons, du maraîchage, des chemins sinueux… C’est une zone foutraque, illisible pour la mairie. Pour la défendre, on utilise le droit de l’environnement car on y voit une brèche, mais on aimerait bien aussi défendre l’humain et ses interactions, parce que c’est un endroit exceptionnel qui brasse plein de gens différents. Mais il n’y a rien qui protège la diversité sociale des gens. Et pour la protection apportée par le droit… Les travaux ont commencé alors qu’il y avait des recours : eux, le droit, ils s’assoient dessus.

Est-ce que tout le monde devrait se saisir de ces questions juridiques ?

Une personne de Notre affaire à tous : Pendant le Covid, on ne pouvait pas sortir sans déclaration. C’est arrivé comme ça et ça a impacté toutes nos vies. Sans que ce soit cohérent. Le droit nous concerne tou·tes. Tout le monde doit-il faire du droit ? Je ne sais pas, mais nous on accompagne les collectifs qui ont des difficultés à mener ces luttes juridiques. C’est incompréhensible (étude d’impact, PLU…) et c’est tout à fait à l’avantage des décideurs. Être un peu sensibilisé·es et savoir ce qu’est un PLU, c’est nécessaire. Ça a pas mal dormi dans les luttes et ça mériterait d’être réinvesti, sans pour autant qu’on devienne devenir tou·tes technicien·nes. Le but c’est de traduire dans le juridique ce qui existe. Vos envies peuvent se traduire en droit, et on est là pour ça. Le droit c’est la structure de la société.
Une personne des Lentillères : On s’est pas mal posé la question cette année de savoir si tout le monde devait se saisir des questions juridiques, et on est passé par des stades différents. Quand il y a eu l’abandon de l’écoquartier, on s’est rendu compte que le groupe juridique allait avoir pas mal de pouvoir car il allait donner des avis sur des choses très techniques qui ont de grosses conséquences. On a donc voulu transmettre le plus de choses possibles pour que tout le monde puisse se faire un bon avis. Mais ça prenait beaucoup de place, et pas mal de gens ne comprenaient pas. C’est normal car le droit est fait pour discriminer. Moi, après cette expérience, je pense qu’il est primordial de ne pas freiner l’inventivité de nos luttes en les écrasant dans des cadres juridiques. Par exemple, quand on a décidé de mettre dans cette proposition de ZEC que « c’est l’assemblée qui décide de tout sur ce territoire », moi j’ai dit « c’est pas possible, vous avez pas compris ce que c’est un PLUi ». Si on m’avait écouté on l’aurait pas fait, donc je pense qu’il faut vraiment que des gens aient la place de ne pas s’intéresser au droit. C’est parce qu’on ne pense pas en terme de droit que l’on fait tout ce qu’on fait, j’ai donc pas envie de convertir tou·tes mes ami·es en spécialistes du droit. Par contre il faut penser des contre-pouvoirs pour faire que celles et ceux qui ont les compétences ne deviennent pas complètement centraux. La place du groupe juridique, c’est peut-être un peu celle de la médiation entre nos expériences de lutte et le monde des experts juridiques.
Une personne des Vaîtes : Est-ce qu’on ne risque pas, si on invente des nouvelles formes de droit pour habiter ensemble, que cette forme soit utilisée par des groupes de gens dans d’autres buts, avec des idéologies qui ne nous conviennent pas ?
Une personne de la ZAD : J’ai ressenti fort le risque avec le groupe juridique de s’embarquer dans des explications techniques sans fin lors des assemblées. Il y a un risque que tout le monde essaie d’être technicien·ne. On peut se perdre au lieu de réfléchir à ce qu’il faut faire. Mais ça nous a poussé à définir plus clairement ce qu’on veut et permis d’avoir ainsi plus de perspectives. Au début la position c’était « on veut rester et faire ce qu’on fait ». Ça nous a au moins permis de nous questionner sur c’est quoi « ce qu’on fait » ? C’est pas la case juridique qui compte mais c’est la mobilisation. C’est le fait de déborder le droit qui fait qu’au final « on a le droit ».

SOMMAIRE DU RESTE DE LA BROCHURE

1 / Pourquoi s’attaquer au PLU ? Genèse de la ZEC

2 / Pourquoi nous parlons d’Écologies et de Communale ?

3 / La Zone d’Écologies Communale – Règlement

4 / Quelques pistes pour défendre juridiquement la ZEC

5 / L’Aire des Quartiers Alternatifs de la Baraque, un exemeple de zonage élaboré par ses occupant·es

6 / Le droit et les territoires en lutte : quelques retours d’expériences