Quelques pistes pour défendre juridiquement la ZEC

Le droit est construit d’une telle manière qu’un texte de loi n’a aucun sens s’il n’est pas pris dans une histoire, et s’il ne s’appuie pas sur d’autres corps de textes. Le texte qui suit recense donc les points de loi qui peuvent servir d’appui à la défense juridique de la Zone d’Ecologies Communale, mais aussi à toute proposition juridique qui chercherait à protéger des usages semblables à ceux des Lentillères.

L’urgence sociale et climatique renforce la nécessité que le droit devienne sensible aux inventions et aux singularités des situations. L’application brutale et verticale de lois abstraites rend impossible la prise en compte de la richesse du vivant et de la complexité des interdépendances entre les espèces. Face à la vitesse de destruction de la faune et de la flore, la lenteur des réformes politiques et juridiques reste souvent inefficace.

Au Quartier des Lentillères, nos formes d’auto-organisation veillent à ce que nos usages soient durables, et qu’ils prennent en compte les multiples dimensions des interdépendances entre les êtres vivants. En se déployant hors des cadres légaux et des règles rigides, la souplesse de cette auto-organisation permet de prendre en compte la complexité des interdépendances, tout en empêchant que chacun·e agisse en ne prenant en compte que ses intérêts personnels .
Inscrire la Zone d’Écologies Communale dans le PLU permettrait la reconnaissance juridique des intérêts environnementales environnementaux de cette auto-organisation.

Si les usages des communs – c’est-à-dire du le fait que des personnes s’auto-organisent autour d’un territoire qui les concerne – ont globalement été anéantis par le droit, quelques juristes et universitaires cherchent aujourd’hui à se servir des législations en vigueur pour les protéger. Nous avons résumé ici quelques points de loi qui peuvent dès maintenant appuyer une reconnaissance juridique de ces usages. Ils nous ont été inspiré par les deux journées de conférences organisées par le groupe « politique urbaine » des Lentillères durant l’hiver et le printemps 2019.

LÉGISLATION FRANÇAISE

Les biens communaux

L’article 542 du code civil affirme que : « Les biens communaux sont ceux à la propriété ou au produit desquels les habitants d’une ou plusieurs communes ont un droit acquis. »
Cet article est issu des luttes paysannes pour la défense des communaux lors de la Révolution révolution française, son histoire ne laisse pas de doute sur le fait qu’il signifie que les biens communaux sont ceux qui appartiennent aux habitant·es et non pas à la personne morale de la commune.

Les « communautés d’habitants »

Selon la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 et l’article L412-4-4° du Code de l’Environnement français, on entend par « communautés d’habitants » : « toute communauté d’habitants qui tire traditionnellement ses moyens de subsistance du milieu naturel et dont le mode de vie présente un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité. »

Les droits coutumiers

La coutume est reconnue comme étant une des sources possibles du droit français. Elle désigne un ensemble de règles qui existent pour une communauté de personnes sans être nécessairement formalisées dans des codes juridiques.
Ces règles tacites ou explicites peuvent donc être reconnues dans un tribunal et s’opposer à d’autres codes juridiques, il s’agit des droits coutumiers.
Ces droits coutumiers concernent principalement des communautés traditionnelles, mais il pourrait se coupler aux droits des communautés locales (voir plus loin) afin de faire reconnaître certaines règles respectées localement.

Les principes de solidarité écologique et d’utilisation durable

La loi française n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (1) marque l’importance des interdépendances. Elle modifie l’article L110-1 du code de l’environnement en définissant la biodiversité comme « la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants ». Ici « organismes vivants » désignent humain·es et non-humain·es.
Cette loi introduit dans le code de l’environnement :

  • le principe de solidarité écologique qui appelle à « prendre en compte, dans toute prise de décision publique ayant une incidence notable sur l’environnement des territoires concernés, les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés ».
  • le principe d’utilisation durable « selon lequel la pratique des usages peut être un instrument qui contribue à la biodiversité ».

Les droits des communautés locales

L’article 8J de la convention sur la biodiversité engage la France à « respecte[r], préserve[r] et [maintenir] les connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qui incarnent des modes de vie traditionnels présentant un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique et en favorise l’application à plus grande échelle ».
Cette convention de 1992 a été signée et ratifiée par l’État français et fait aujourd’hui partie du droit en vigueur sur le territoire français.
En Italie des paysans se sont appuyés sur cet article pour revendiquer le droit d’utiliser des variétés végétales locales, en se présentant comme des communautés locales, et ont obtenu gain de cause.

Le droit des autres peuples

Le considérant 7 de la charte de l’environnement française affirme « Qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».
Cette charte a aujourd’hui une valeur constitutionnelle, au côté de la Constitution mais aussi de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Elle a été écrite en référence à la Convention sur la diversité biologique, les « autres peuples » désignent les peuples autochtones et les communautés locales.

Les zones de droits d’usage collectifs

Depuis 1987, il existe le en droit français la pratique des zones de droits d’usage collectifs (ZDUC). Ce dispositif foncier actif en Guyane permet de prendre en compte les enjeux concernant le logement, l’agriculture, l’utilisation durable des terres et les activités économiques des communautés d’habitants autochtones.
Ces zones concernent surtout des forêts et sont encadrées juridiquement par l’article L5143-1 du Code général de la propriété des personnes publiques : « Dans le département de la Guyane, les immeubles domaniaux dépendant du domaine privé de l’État peuvent être cédés ou concédés gratuitement à des personnes morales en vue de leur utilisation par les communautés d’habitants qui tirent traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt. »

Les droits de la nature

La déclaration universelle des droits de la terre-mère confère des droits à tous les êtres qui la composent, et reconnaît leur interdépendance. Si elle n’est pas contraignante, elle a inspiré de plus en plus d’États à reconnaître des personnalités juridiques à des éléments naturels (fleuve, lac, montagne,….).
La province des Îles Loyauté en Nouvelle Calédonie a ainsi fait inscrire dans son code de l’environnement l’article 110-3 qui reconnaît le « principe unitaire de vie » et ouvre la possibilité de doter certains éléments de la nature de droits : « Le principe unitaire de vie qui signifie que l’homme appartient à l’environnement naturel qui l’entoure et conçoit son identité dans les éléments de cet environnement naturel constitue le principe fondateur de la société kanak. Afin de tenir compte de cette conception de la vie et de l’organisation sociale kanak, certains éléments de la Nature pourront se voir reconnaître une personnalité juridique dotée de droits qui leur sont propres, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires en vigueur. »

Le droit à l’expérimentation des collectivités

La Loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République (1) a inscrit dans la Constitution l’article 37-1 : « La loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental. ». Elle précise cette expérimentation en inscrivant également l’article 72 qui prévoit que « les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences ».

LES COMMUNS URBAINS EN ITALIE

Naples
La municipalité de Naples s’est appuyée sur les droits des Usi Civici (usages civiques) [[ Les usages civiques sont une tradition médiévale inscrite dans le droit italien qui justifiait l’accès à la forêt pour y récolter du bois ou de la nourriture. L’article 1 de la loi 168/2017 17 affirme que « La République reconnaît les domaines collectifs, sous toutes leurs dénominations, en tant que régime juridique primaire des communautés d’origine ». ]] pour reconnaître huit lieux occupés illégalement par des communautés comme des communs urbains, c’est-à-dire des lieux qui « par leur emplacement, leur histoire et leurs caractéristiques ont vocation à être reconnus comme biens dédiés à une utilisation civique et collective » (résolution n° 446/2016 adoptée par le conseil municipal). La propriété des lieux en est protégée, la gestion est laissée aux communautés qui les occupent à condition que leurs actions respectent l’éthique des Biens Communs rédigés par la municipalité et garantissent l’accès équitable aux citoyen·nes.

Bologne
En 2014, la ville a adopté le « Règlement sur la collaboration entre les citoyens et la ville pour l’entretien et la régénération des communs urbains », un cadre juridique permettant aux habitant·es de s’occuper directement des biens communs urbains. Des « pactes de collaboration » sont mis en place pour définir les biens communs et les règles de collaboration entre les parties prenantes. Ils peuvent être signés par des personnes seules, des groupes informels, des communautés et des organismes sans but lucratif.

Turin
La ville de Turin a approuvé en 2019 le « Règlement pour la gouvernance des biens communs », qui affirme : « Le parterre d’une maison, le jardin du quartier, le square, la cour d’école, les lieux abandonnés, mais aussi des biens immatériels, peuvent être des biens communs urbains. Ils le deviennent lorsque les citoyens et l’administration publique les reconnaissent et prennent des mesures pour en prendre soin, les gérer et les régénérer. Les principes fondamentaux de la gouvernance des biens communs sont l’accessibilité, le partage des soins et la participation aux processus décisionnels. »

BIBLIOGRAPHIE

Chantal Cans et Olivier Cizel. Loi biodiversité : ce qui change en pratique. Éditions législatives, 2017.
Aurore Chaigneau. Fonctions de la propriété et commun, regards comparatistes. Société de législation comparée, 2017.
Marie Cornu, Fabienne Orsi & Judith Rochfeld (dir.), Dictionnaire des biens communs, PUF, 2017.
Benoît Grimonprez. Le droit des biens au service de la transition écologique. Dalloz, 2018.
Benoît Grimonprez. Agriculture et ville : vers de nouvelles relations juridiques. LGDJ, 2016.
Serge Guthwirth. Quel droit pour quels communs ? Consultable en ligne : http://notesondesign.org/wp-content/uploads/2019/05/Quels-droits-pour-quels-communs_Gutwirth.pdf
Alessia Tanas et Serge Gutwirth. Une approche « écologique » des communs dans le droit. Regards sur le patrimoine transpropriatif, les usi civici et la rivière-personne. Consultable en ligne : https://journals.openedition.org/insituarss/1206
Daniela Festa. Les communs urbains. L’invention du commun. Consultable en ligne : https://journals.openedition.org/traces/6636
Elinor Ostrom et Laurent Baechler. Gouvernance des biens communs. De Boeck 54, 2010.
Sarah Vanuxem. « Les communautés d’habitants pour la transition écologique » dansLe droit des biens au service de la transition écologiquedirigé par Benoît Grimonprez, Dalloz, 2018.
Sarah Vanuxem, La Propriété de la Terre, Wildproject, 2018.
Sarah Vanuxem et Caroline Guibet, Repenser la propriété, un essai de politique écologique. PUAM, 2015.

SOMMAIRE DU RESTE DE LA BROCHURE

1 / Pourquoi s’attaquer au PLU ? Genèse de la ZEC

2 / Pourquoi nous parlons d’Écologies et de Communale ?

3 / La Zone d’Écologies Communale – Règlement

4 / Quelques pistes pour défendre juridiquement la ZEC

5 / L’Aire des Quartiers Alternatifs de la Baraque, un exemeple de zonage élaboré par ses occupant·es

6 / Le droit et les territoires en lutte : quelques retours d’expériences