En décembre 2019, un habitant de la Baraque (hameau de Louvain-la-Neuve en Belgique) est venu aux Lentillères transmettre l’histoire de la construction de ce quartier, qui va de l’occupation du territoire à la négociation engagée pour pérenniser les usages et les manières de vivre qui s’y sont construit·es au fil des années. Il nous a raconté comment les habitant·es sont arrivé·es à créer du droit en proposant à la mairie un nouveau zonage, incluant les habitats légers et la possibilité d’une gestion collective et autonome des terres par celles et ceux qui les habitent. Cette rencontre nous a beaucoup inspiré·es dans la rédaction de la ZEC. Elle nous laisse croire qu’il est possible d’inventer du droit sans être juriste et que cette histoire pourrait se propager ailleurs.
Voici quelques extraits retranscrits et travaillés de cette présentation :
« Au début des années 1970, un conflit identitaire entre Wallon·nes et Flamand·es pousse à la création de l’Université Cathologique Catholiquede Louvain (UCL). 900 hectares de terres, constitués principalement de champs et seulement de quelques habitations, sont donnés à l’UCLouvain pour y construire une ville nouvelle, Louvain-la-Neuve en Wallonie. Les quelques habitant·es historiques sont exproprié·es mais refusent d’être “déplacé·es” et sont déterminé·es à rester. Arrivent des étudiant·es en architecture qui ne veulent pas habiter cette nouvelle ville de béton, et se dirigent alors vers le hameau de la Baraque pour y habiter des maisons expropriées et mise en location louées par l’UCL. Un chouette lien commence à se créer entre habitant·es qui résistent et étudiant·es qui viennent de s’installer. De fil en aiguille, des personnes s’installent dans les espaces en friches en construisant leurs cabanes. Entre 150 et 200 personnes cohabitent désormais sur une dizaine d’hectares.
Trois poches d’alternatives se forment avec leurs propres modes d’organisation. Le Talus fonctionne au consensus, le Jardin par le vote, et, aux Bulles, ils et elles ne font pas de réunions formelles. Et puis il y a une zone qui est la régie de quartier, qui s’appelle la Fatoria sociale. C’est une petite bande de terrain, sur laquelle il y a un bâtiment qui est à la fois un lieu d’accueil pour des gens qui viennent donner des coups de mains. Il y a aussi le bar du Zoo, un lieu d’organisation pour l’ensemble du quartier lorsque par exemple les questions traitent de l’aménagement du territoire, c’est aussi le lieu d’un resto du dimanche.*
Le gros du boulot de la Baraque c’est pas vraiment une lutte pour défendre des projets sociaux et politiques mais plutôt une lutte centrée sur “comment on va rester”. La présence d’une cinquantaine d’enfants impacte la posture que prend la lutte, parce qu’elle augmente de manière phénoménale la nécessité de sécurité, de se sentir chez soi et de ne pas se faire expulser. La question de la légalisation apparaît mais semble pour certain·es être la pire des choses qui puisse arriver, parce que les règles d’urbanisme et les différentes polices du logement et de l’aménagement du territoire sont ultra contraignantes et attaquent fondamentalement le mode de vie collectif et autogestionnaire.
À partir des années 1980, commencent des réunions entre l’UCL, la mairie, et des “portes paroles” de la Baraque, avec des périodes où les institutions étaient plutôt avenantes par rapport au quartier et puis à d’autres moments pas du tout. Faut-il se légaliser ou pas ? Faut-il rentrer dans des normes ou pas ? Toutes ces questions amènent des tensions. Certain·es sont contre le fait même de rencontrer les autorités, parce que les “porte- paroles” ne font que transmettre le message des pouvoirs publics et donc ramènent le virus de l’injonction. Beaucoup restent persuadé·es qu’il faut ralentir, gagner du temps. Un groupe de personnes s’intéresse alors à l’aménagement du territoire en Belgique. Les plans de secteurs et les Règlements Communaux d’Urbanisme (RCU) cadrent l’occupation des sols. À la manière des PLU en France, les plans de secteurs cartographient les territoires et y affectent une fonction : zones d’habitats en rouge, zones agricoles en jaune, zones forestières en vert, et les RCU légifèrent chaque zone. Une volonté de créer des documents urbanistiques pour régulariser le quartier, lui donner une forme juridique, commence à émerger. Des personnes le font pour sauver leurs peaux, et d’autres pour que ce soit possible ailleurs. Ils et elles s’emparent, pour certain·es la mort dans l’âme, des questions juridiques. Ils et elles ont alors pris un RCU, ont gardé les chapitres en y effaçant leurs contenus, dans l’idée d’en écrire un nouveau et de proposer un zonage jusqu’alors inexistant en Belgique : l’Aire des Quartiers Alternatifs.
Ce zonage est caractérisé par des projets d’auto-construction, au sein de zones d’habitat gérées collectivement, qui s’intègrent dans un environnement naturel destiné à rester prédominant « . Auparavant, dans un Plan Particulier d’Aménagement datant des années 90, cette zone était appelée par les habitant·es « zone pyjama » (zone rayée rouge et verte) mais ce PPA ressemblait trop à un aménagement du territoire pour camping. Pour différentes raisons il a été abrogé il y a peu. Les documents (RCU et SDS) qui suivront donnent des orientations plus précises : « la réappropriation du temps et de l’espace, favoriser la vie communautaire, assurer des faibles charges de fonctionnements, développer un laboratoire des nouvelles pratiques urbaines ». Le règlement de l’Aire des Quartiers Alternatifs définit donc des règles d’architecture précises – telles que la hauteur des maisons, la couleur des briques, la forme des toits, la distance maximale des maisons par rapport à la chaussée – pensées pour favoriser l’auto-construction et la vie communautaire.
En 2016, l’Aire des Quartiers Alternatifs est validée par les autorités.
Aujourd’hui, le quartier de la Baraque reçoit des demandes de personnes souhaitant y habiter à n’en plus finir. La ville le sait, UCLouvain le sait. Tout le monde sait que si une nouvelle zone de ce type là s’ouvrait, elle serait remplie tout de suite. Plein de gens veulent habiter en habitat léger pour une série de raisons, qu’elles soient écologiques, économiques, sociales, ou pour le mode de vie qui permet de vivre avec beaucoup moins d’argent et de développer une vie de qualité. «
SOMMAIRE DU RESTE DE LA BROCHURE
1 / Pourquoi s’attaquer au PLU ? Genèse de la ZEC
2 / Pourquoi nous parlons d’Écologies et de Communale ?
3 / La Zone d’Écologies Communale – Règlement
4 / Quelques pistes pour défendre juridiquement la ZEC
5 / L’Aire des Quartiers Alternatifs de la Baraque, un exemeple de zonage élaboré par ses occupant·es
6 / Le droit et les territoires en lutte : quelques retours d’expériences